Aussi authentique que modeste, le rappeurs et beatmaker japonais Jinmenusagi nous a offert une interview pleine de sincérité. Dans cette entretien, il évoque, entre autres, l’ambivalence de sa personnalité et les nécessités du monde de la scène. Il se livre aussi sur ses ambitions ou encore le côté otaku qui n’a jamais cessé de l’animer.

Du haut de ses 27 ans, il est l’un des artistes les plus prolifiques de sa génération. Avec déjà huit albums sortis (instrumentals et remixes inclus) et trois EP, il est un acteur important de la scène hip-hop japonaise d’aujourd’hui. Il nous tardait vraiment d’en savoir plus à son sujet. Une interview exclusive Real Japanese Hip Hop menée par Emiko.


RJHH : Bonjour Jinmenusagi. Pourrais-tu te présenter pour nos lecteurs ?

Jinmenusagi : Ça va ? Je m’appelle Riou TOMIYAMA. Je suis rappeur, beatmaker, compositeur, et psychologue.

RJHH : Pourrais-tu nous parler de ta première rencontre avec la musique et plus particulièrement avec le hip-hop ainsi que tes premiers pas en tant qu’artiste ?

Jinmenusagi : C’était naturel pour moi car mes parents écoutaient beaucoup de musique. Toutefois, quand j’étais gosse je ne supportais pas quand le volume était à fond. Je me bouchais souvent les oreilles et je n’étais pas très fan de certains styles de musique que l’on m’obligeait à écouter ; surtout celle qui me demandait de rester bien sage sans gigoter.

Quand j’ai commencé à écouter du hip-hop, je ne fréquentais pas particulièrement les clubs ou les Skateparks, j’étais plus un « Nerd » . Du coup j’ai commencé à rapper et faire des beats que je balançais direct sur des forums internet. Grâce à ça, on m’a offert l’opportunité de sortir mon premier CD. C’était le début de ma carrière professionnelle. Le responsable du label où j’étais à l’époque était quelqu’un de respectueux et très indépendant, c’est ce qui m’a permis de créer cet esprit autonome ainsi que ce côté créatif si exigeant.

Suite à ça j’ai pris mon statut “freelance”. Ça fait cinq ans qu’on m’appelle “indépendant”, “auto-entrepreneur” ou “Boss solitaire”. Comme vous êtes un média étranger, je peux maintenant t’avouer que, ce que je prenais comme un jeu à l’époque est devenu aujourd’hui mon métier.

RJHH : Tu es rappeur et tu es également beatmaker. Est-ce que tu fais toujours des instrus ? Si oui quels genres de beats ?

Jinmenusagi : Sur mon premier album “Self Ghost”, j’ai fait tous les beats moi-même. J’y ai mis du son électronique et utilisé quelques samples également. Sur mon cinquième album “Jimesagi» (nb. abréviation de jinmenusagi, les fans japonais l’appellent souvent “Jimesagi”), je suis aussi producteur. La trap music est le style principal sur cet album, je crois qu’il est disponible également en France sur les sites de streaming comme Spotify etc… Ces derniers temps, j’aime utiliser de vrais instruments dans ma composition. J’aimerais d’ailleurs acheter de nouveaux instruments.

RJHH : Quels sont les artistes Japonais et internationaux qui t’ont influencé ?

Jinmenusagi : Eminem, Linkin Park, Limp Bizkit, KoRn, Beastie Boys, et Drunken Tiger. Pendant une période j’ai été très influencé par SpaceGhostPurrp, Denzel Curry, Yung Simmie, Raider Klan à la limite du lavage de cerveau.

$uicideboy$ seront mes héros jusqu’à la fin de ma vie. Celui que j’ai écouté comme un fou récemment c’est Blood Orange. Je crois que je suis davantage intéressé par les sons électroniques et sombres que ceux d’instruments classiques.

RJHH : J’ai remarqué que dès que tu apparais sur scène, il te suffit à peine d’ouvrir la bouche pour que le public s’enflamme. Ce n’est pas donné à tous les artistes d’avoir un tel charisme. Est-ce que c’est quelque chose de naturel chez toi et ce depuis le début de ta carrière ?

Jinmenusagi : À mon premier live, j’ai eu une entorse à ma cheville droite, je m’en souviens encore (rire). Si j’ai du talent pour chauffer la salle, je n’en suis pas particulièrement conscient. Je disais dans une question plus haute que je ne fréquentais pas trop les clubs, en tout cas, pas en tant que fêtards.

Cependant, il y avait une période où j’exerçais ma faculté de prestations live dans différents clubs comme vagabondo. Cela m’a sûrement aidé à développer ce savoir-faire sur scène. Toutefois, à l’époque, j’ai perdu mon équilibre physique et psychique à force de m’exposer autant au regard des gens, qui va à l’encontre de mes attitudes naturelles. Des symptômes tels que : manque de sommeil, perte d’appétit etc… Je serai toujours reconnaissant envers les personnes qui m’ont soutenu à l’époque. 

RJHH : Quel que soit le beat sur lequel tu poses, dès que tu interprètes la chanson tu réussis à passer la frontière entre l’underground et l’overground. Dj Sach-iri a trouvé une expression qui te correspond bien. Le don “Uta-gokoro” (ndlr. : pourrais se traduire par « interprète professionnelle qui touche le cœur des auditeurs »). D’après toi quels artistes japonais correspondent à ce terme ?

Jinmenusagi : C’est 紅桜(Benizakura) rappeur/chanteur qui correspond à ce terme, je pense. Je recommande aussi à vos lecteurs français de le découvrir.

RJHH : Avant de te rencontrer, j’ai eu l’occasion de demander à ton entourage « Qui est Jinmenusagi ? » Ils t’ont tous décrit avec des pseudos similaires comme « Nerd né » ou « Otaku grave ». Que fais-tu comme activité en tant que Nerd ? Quelques références nous recommandes-tu ? Comment ton côté « Nerd », influence t’il tes œuvres musicales ?

inmenusagi : Je me permets de citer les œuvres animés, mangas préférés tels que : Cowboy Bebop, Patlabor Neon Genesis Evangelion, Ghost in the Shell, Mobile Suit Gundam, Ashita no Joe (1968), Grappler Baki et sans oublier AKIRA. En passant par des œuvres d’Otomo Katsuhiro, j’aime aussi «Sayonara Nippone», «Kibun ha Moo Sensoo» et également les Shôjo-mangas comics des auteurs comme Ryoko Yamagishi, Yumiko Oshima, Akimi Yoshida.

Je peux regarder les mêmes œuvres quotidiennement et ainsi trouver de l’influence grâce aux univers et aux dialogues. Donc, je suis très honoré que mon entourage me surnomme « Nerd né » ou « Otaku grave ». J’aimerais même les graver sur ma pierre tombale.

RJHH : Tu es également connu dans le milieu musical japonais pour tes nombreux featuring que ce soit en tant que rappeur ou beatmaker. Parmi toutes les collaborations que tu as pu faire quels sont les projets que te tiennent le plus à cœur ?

Jinmenusagi : J’ai participé à deux morceaux sur l’album de la chanteuse et j’ai eu la chance de faire la tournée de cet album avec elle. Chaque salle de concert était remplie de milliers de personnes. Cela m’a permis de voir ce que ça faisait d’être face à un public si important et de recevoir autant d’énergie.

Le fait d’avoir passé tellement de temps à Tokyo en collaborant avec différents artistes m’a donné à réfléchir. Alors certes, Tokyo est la capitale du Japon et la ville où je suis basé mais quand on a une vision plus globale et objective, elle n’est qu’une préfecture du Japon. Même si j’aime cette ville, je pense qu’il ne faut pas y être enfermé toute sa vie.

RJHH : Je suis convaincue que c’est ta nature d’être auto-entrepreneur, depuis que je t’ai rencontré au live party organisé par Ace the Chosen onE à Nagoya. Tu es toujours à l’écoute et tu es conscient de ce que tu dois faire ou dire. Quelqu’un d’autonome. Quelle est la raison pour laquelle tu as pris ce statut freelance ?

Jinemenusagi : Comme tu dis, je suis devenu naturellement auto-entrepreneur comme si c’était mon destin. Après avoir quitté le label en 2014, j’espérais être contacté par de nouveaux labels. Cependant, aucun label ne m’a proposé de contrat intéressant. Ayant refusé les propositions de plusieurs labels et maisons de disque, je suis devenu un artiste qu’aucun label n’approche.

Je bosse pour l’honneur et le bénéfice en tant que professionnel, pas pour être contrôlé par autrui. Quand on est conscient de ce qu’on veut, il ne reste plus qu’à monter sa propre entreprise. En résultat, je suis devenu freelance.

Jinmenusagi, Interview RJHH

Jinmenusagi – Photo de @Tristan Denis 

Il y avait une période où les jeunes artistes de rap japonais commençaient à être très actifs sur la scène musicale et culturelle. De nombreux hommes d’affaires sautaient sur ces jeunes talents. Ils essayaient de les contrôler comme des bergers et leurs moutons. J’ai vu de nombreux cas où de jeunes artistes se sont perdus en écoutant ces gens-là.

Certains restaient indépendants, continuaient de suivre leur propre voie et produisaient des sons toujours authentiques à leur propre musicalité. Après avoir vu tous les cas, je recommande fortement aux jeunes artistes de monter leur propre entreprise, soit d’être « slasher » (ceux qui ont plusieurs professions).

RJHH : Ton projet « La Blanka » sorti l’année dernière avec le beatmaker Sweet William a connu un certain succès. Malgré le fait que tu sois freelance et que Sweet William soit un membre du label « Pitch Odd Mansion », « La Blanka » est sorti sur le label « Epistroph ». Pourquoi ce label ? J’ai également remarqué que vous continuiez à vous produire ensemble sur scène parfois avec des musiciens d’Epistroph. Pourrais-tu nous parler de tes projets pour la suite, et si un deuxième album commun est en préparation ?

Jinmenusagi : Je ne me souviens plus vraiment comment ce projet est né, mais je sais que si j’ai travaillé avec eux, j’avais de bonnes raisons. En tout cas, je respecte beaucoup tous les membres du label Epistroph.

Ce sont de très bons artistes qui aiment depuis longtemps le jazz et le hip-hop. Avec eux et Sweet William, on aura des occasions d’être réunis sur scène de temps en temps. Il y a des projets en cours avec et sans eux mais c’est encore confidentiel pour l’instant. Je peux simplement vous dire que vous serez informé le moment venu.

RJHH : Pourrais-tu nous dire quelles sont tes plus grandes ambitions peu importe le thème ?

Jinmenusagi : Une de mes chansons fait partie d’un thème musical de compétitions sportives internationales de E-sport, du coup que ma notoriété internationale devienne aussi grande que celle que j’ai au Japon. L’obtention de la ceinture violette en Jiu-Jitsu Brésilien (Art Martial d’origine brésilien-japonais), vivre avec des animaux de compagnie et arrêter la cigarette.

RJHH : Peux-tu nous avouer la partie de ta personnalité dont tu ne sois pas très fier.
Jinmenusagi : Récemment, je me suis rendu compte que j’étais trop gourmand. Le début de l’été, c’est la meilleure saison pour manger des “sōmen”. Les sōmen sont des nouilles japonaises très fines et blanches, faites à base de farine de blé. On les mange généralement froides en les trempant dans de la sauce légère (bouillon et sauce soja) l’été. Elles ont la particularité de cuire très rapidement. J’en mange pratiquement tous les soirs en ce moment.

RJHH : J’ai remarqué pas mal de commentaires de Français sur les réseaux sociaux et également lors de tes lives Instagram. Tu reçois des messages ou d’autres réactions de fans français ou même d’autres pays ?

Jinmenusagi : Je reçois des messages de Français, mais surtout de Japonais qui vivent en France. Des pays anglophones et d’Asie également. Je n’en ai jamais reçu d’Afrique, pas encore pour l’instant. J’attends vos messages !

RJHH : Jinmenusagi merci pour cette interview. Quelques mots pour clôturer cet entretien ?

Jinmenusagi : Nous nous verrons sur la capitale épanouissante comme des fleurs, Paris en France. Au revoir, à bientôt ! *(ndlr. Pour garder l’authenticité du parler japonais nous avons fait le choix de conserver une traduction littérale de ces propos.)

 

Propos recueillis par Emiko Lauroua


 

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