Il y a beaucoup d’éléments qui font que Norikiyo soit un artiste différent. Incontournable sur la scène hip-hop japonaise et rappeur aux nombreux projets, Norikiyo est un artiste qui se dépense sans compter. Il vient en effet d’enrichir sa discographie avec un 9eme album studio appelé HEISEI EXPRESS et publié il y a quelques semaines.
N’ayant plus rien à prouver à ses fans et ne prenant pas sa carrière à la légère, il montre encore une fois l’étendue de son talent en restant au sommet de son art. Le timing était donc parfait pour s’entretenir avec l’artiste de Sagamihara dans une interview exclusive.
L’occasion pour nous d’évoquer plusieurs sujets, comme sa rencontre avec la culture hip hop, celle avec les membres du groupe de rap SD JUNKSTA, des sujets abordés dans sa musique à travers le morceau « Arigato, Sayonara » de 2011 ainsi que des informations sur ses dernières productions.
RJHH : Bonjour Norikiyo. Merci d’accorder cette interview à Real Japanese Hip Hop. Beaucoup de fans français aimeraient connaitre ton parcours. Peux-tu nous raconter comment tout a commencé pour toi dans la musique hip-hop ?
Norikiyo : Bonjour ! En 1994, j’ai commencé à pratiquer du skateboard. A cette époque, je regardais souvent les clips du groupe de rap américain DE LA SOUL en VHS et leur musique était utilisée pour nous apprendre à pratiquer le skateboard. Je ne connaissais rien au hip-hop, mais parfois j’utilisais le mot rap.
Le collège que je fréquentais était situé à côté d’un camp de l’armée américaine et je me souviens qu’un américain du même âge que moi m’avait expliqué le hip-hop. Ensuite, j’ai commencé à faire des recherches et je suis devenu accro. J’avais en plus des amis qui étaient très doués en breakdance et qui m’ont aussi appris beaucoup de choses sur cette culture.
J’ai aussi regardé le film intitulé « JUICE » et j’ai voulu être DJ. J’ai donc acheté une platine avec l’argent que mon petit frère avait économisé. Je l’ai un peu arnaqué en lui disant ceci :
“Si tu deviens DJ, tu vas attirer beaucoup de filles”.
Les platines étaient en fait pour moi.
RJHH : On se souvient du premier groupe de rap SD JUNKSTA avec les artistes Ojibah, Bron K, Wax, DJ Isso, Tkc. Comment vous êtes-vous rencontrés ? Es-tu toujours en contact avec eux ?
Norikiyo : Le camarade de classe de mon petit frère était Bron K. Je connaissais son visage parce qu’il portait toujours un maillot de foot avec sa coupe de skinhead. Il était quotidiennement assis devant un konbini (magasin de proximité) et lisait beaucoup de mangas. En plus, j’ai entendu des rumeurs qui disaient que Bron K était capable de rapper parfaitement en anglais “Jin & Juice” de Snoop Doggy Dogg. A cette époque j’étais beatmaker et j’utilisais le MPC2000. Je me souviens avoir dit à Bron K de venir chez moi avec la condition de ramener de la weed pour fumer. A partir de là, on s’est très bien entendu.
Pour TKC, il a le même âge que moi et on était dans la même classe. WAX est un ami de Bron K et ils allaient souvent en boite de nuit pour draguer les filles. J’étais dans la même scène de rap que OJIBA à Shibuya. Nous sommes ensuite devenus amis. Par rapport à DJ ISSO, il n’était pas dans la même ville que nous, mais on avait un ami en commun KYN qui était aussi un membre de SD JUNKSTA.
Quand j’ai rencontré DJ ISSO, j’ai trouvé que ses scratchs étaient vraiment lourds. Pendant nos live, je ne pouvais pas rapper et faire DJ en même temps, c’était trop dur. J’ai donc demandé à DJ ISSO d’être notre DJ. C’est comme ça que tout a commencé ici dans notre ville Sagamihara. Maintenant, je fais de nouvelles chansons avec OJIBAH et BRON-K. Je suis toujours en contact avec eux.
RJHH : Tu es un artiste incontournable du rap japonais. Plusieurs médias japonais et étrangers te citent lorsqu’ils présentent le rap de l’archipel. Quel est ton avis par rapport à cela ?
Norikiyo : Je suis heureux que tu me le dises, mais malheureusement, je ne se suis pas au sommet. La montagne que vous escaladez est différente des autres. Tout le monde gravit sa montagne et elles sont toutes différentes. Vous ne pouvez pas gagner si vous franchisez la montagne de quelqu’un d’autre.
Moi je mets encore plus de hauteur pour ma montagne. Si vous pensez être arrivé au sommet, le jeu est terminé. N’est-ce pas ? Je veux que le rap soit meilleur et je recherche des de super lyrics, des idées, des rimes qui tuent. Je pense que ça doit durer toute une vie.
RJHH : Je me souviens du morceau “Aligatô , Sayonara” où tu parles des problèmes de ce monde. Quel message voulais-tu faire passer ? Et quels sont les autres sujets que tu abordes dans ta musique ?
Norikiyo : 2011 est inoubliable pour le Japon. C’est l’année du grand tremblement de terre qui a provoqué à l’est du pays un tsunami et de nombreuses personnes sont mortes. La centrale nucléaire a également été brisée par le tsunami. Tournez le robinet et de l’eau propre sortira. Lorsque l’interrupteur est branché, l’électricité peut être utilisé. Je me suis rappelé que je devrais être reconnaissant pour certaines choses évidentes. C’était comme si la terre était en colère contre nous.
Je me suis dit qu’il est temps de penser en tant que personne globale et pas seulement en tant que japonais. Dans tous les pays du monde, il y a toujours les conflits de pouvoir, de territoire et mêmes des conflits en mer etc …
“je suis reconnaissant que la production de musique soit mon métier”
Ce faisant, la Terre peut être brisée et devenir une planète où les humains ne peuvent plus vivre. Plutôt que d’attaquer quelqu’un que tu n’aimes pas. Il serait mieux de discuter et d’être reconnaissant les uns des autres. Commencer à parler ensemble, pour que le monde aille dans le bon sens. Avant qu’on dise adieu à notre planète, il faut commencer par dire aligatô . C’est ce que je ressentais en 2011 et j’ai décidé d’en faire une chanson.
Bien sûr, la réalité est cruelle et différente. Mais qu’y a-t-il d’autre si la musique et l’art ne la poursuivent pas ? Pour certains rappeurs c’est réel de gagner sa vie en parlant de drogues, de dealers et d’autres histoires. Mais c’est aussi nécessaire de parler des événements à l’échelle mondiale. Je ne suis plus un rappeur jeune qui traîne dans la street.
RJHH : Tu as sorti trois projets en quelques mois, Stupid and Scissors …, O.S.D et HEISEI EXPRESS. D’où provient cette inspiration pour produire autant d’albums ?
Norikiyo : Je n’ai pas d’autres loisirs, sauf faire des chansons. Tout le monde travaille en semaine, non ? La majorité de mes amis travaillent eux-aussi en semaine. Moi, pendant ce temps, je crée des chansons. Comme on est plus étudiant, il n’y a plus d’amis qui peuvent sortir comme avant. J’aime produire de nouvelles chansons dans mon studio et je suis reconnaissant que la production de musique soit mon métier.
RJHH : Parmi tes 9 albums studios, quels sont ceux que tu me conseillerais d’écouter ? Et Pourquoi ?
Norikiyo : Mes titres préférés sont toujours les nouvelles chansons. Ceux dont on vient de terminer l’enregistrement sont encore mieux. Donc, les chansons qui ont été publiées avant sont anciennes pour moi. Vous pouvez écouter les anciens morceaux à votre guise, mais ce serait intéressant si vous écoutiez dans le sens des plus récentes vers les plus anciennes. Comme ça, vous verrez que je suis devenu meilleur qu’avant. Quand j’étais jeune j’étais stupide. C’est pareil même pour les français n’est-ce pas ? Nous sommes les citoyens de la même planète. Je veux qu’on grandisse ensemble.
RJHH : HEISEI EXPRESS est sorti le 1er mars. Que peux-tu nous dire sur cette nouvelle production ?
Norikiyo : Chaque morceau que je viens de produire dans cet album me plait beaucoup. Toutefois au moment de le sortir, je me dis que j’aurai pu faire encore mieux. En ajoutant plus de richesse aux paroles. À chaque fois vous ne pouvez pas réenregistrer pour modifier. Cela me donne donc la motivation pour améliorer les futures chansons.
RJHH : Parlons maintenant du clip vidéo “nanida sorya“ (何だそりゃ) où tu apportes une critique au rap japonais actuel.
Norikiyo : Malheureusement, il y a beaucoup de gens au Japon qui imitent le style qui est à la mode. La majorité des gens veulent ressembler à Travis Scott. C’est un enjeu pour l’originalité. J’ai survécu à ce phénomène il y a plus de 10 ans. Je reconnais donc ceux qui sont dans ce style-là.
C’est normal pour les débutants d’imiter le style des anciens. Je trouve ça normal et je pense que c’est bien d’avoir une envie de réussite quand on est jeune. Mais la question est de savoir ce qu’on va laisser aux futures générations. Ce n’est pas une question d’argent. Mais parfois quand on regarde son passé d’artiste on a un peu honte de ce qu’on a fait. On ne peut pas devenir soi-même si on imite un autre artiste qui a un grand succès. J’ai voulu en parler simplement parce que personne ne le dit en ce moment.
RJHH : On est presque habitué de découvrir tes nouvelles productions. Prépares-tu un autre album dans les prochains mois.
Norikiyo : Pas pour le moment. J’ai ouvert tous mes tiroirs et maintenant c’est vide. J’y penserai quand j’aurai fini ma tournée.
RJHH : Quels sont les 5 cinq rappeurs japonais que tu apprécies le plus ?
Norikiyo : Avant de répondre, je mettrai AKLO de côté et d’autres rappeurs bilingues qui sont très bons. Je citerai donc ceux qui rappent uniquement en japonais ; HAN’NYA, MACCHO, Zorn, Gottz de Kandytown, KVI Baba et C.O.S.A
J’aime beaucoup leur flow en japonais. Je n’ai pas cité Bron K car je le considère comme un membre de ma famille. Il y a d’autres rappeurs que je respecte aussi qui sont au nombre de dix.
RJHH : Le rap japonais prend davantage d’envergure depuis quelques années. confirmes-tu ce constat ?
Norikiyo : En tant qu’auditeur, je pense de plus en plus que la scène musicale hip hop a évolué pour remplir les salles de concerts par les jeunes artistes. Ce sont des rappeurs authentiques qui ne copient pas les autres artistes. De toute façon, ceux qui ne s’inventent pas, ceux qui ne créer pas, vont disparaître.
BAD HOP ils sont super cool par exemple. Ils vont devenir les représentants du rap japonais en dépassant le cap de hood star pour devenir un groupe rap star. Si j’étais plus jeune, je serais complètement fan d’eux. Je suis même déjà fan. Je pense que les artistes qui sont très en vue ont maintenant leur propre fardeau et leur propre pression.
RJHH : Merci beaucoup Norikiyo pour vos réponses. Un dernier mot pour la fin ?
Norikiyo : Merci Real Japanese Hip Hop. Je ne suis jamais allé en Europe. Je ne parle ni français, ni anglais, mais je suis impatient de venir un jour en France. Paix dans le monde !
Propos recueillis par Roger Atangana
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